Survol de la période (1940-1956)


Maquette de Rouen, avant 1939(Photo Jean Vavasseur, Paris-Normandie, lors de l'exposition de cette maquette au Musée Le Secq des Tournelles, en août 1952).
La photo ci-contre n'est pas une vue aérienne de Rouen en 1939 mais une maquette longue de 15 m. Elle a été réalisée en 1937, à l'initiative de la Chambre de Commerce, sous la direction de l'artiste Juliette Billard. Elle est ici exposée au Musée Le Secq en 1952, pour se souvenir du Rouen d'avant-guerre. Elle a été longtemps entreposée dans les sous-sols du Palais des Consuls.  

9 juin 1940. L'armée allemande arrive à Rouen. On a fait auparavant sauter les ponts, on a incendié les pétroles. Il y a peut-être eu au bas de la rue de la République une faible résistance. En tout cas le feu éclate et les Allemands le
laisse se propager dans tout le quartier au sud de la cathédrale. Les pompiers ne seront autorisés d'intervenir que 2 jours plus tard. Quinze hectares de rues étroites, de maisons à pan de bois remarquables, partiront ainsi en fumées.

Après l'incendie de juin 1940 (Photo coil. G. Pessiot).


Jacques Gréber devant la maquette du Palais de Chaillot pour l'Exposition internationale des Arts et Techniques de 1937 (Photo catalogue exposition musée Carnavalet, 2007)

C'est suite à cet incendie dramatique que la ville de Rouen prend contact avec l'architecte urbaniste Jacques Gréber, dès l'automne 1940.
Jacques Gréber, architecte-urbaniste, est à la tête d'un cabinet d'architectes très important à Paris, il a également des bureaux aux Etats-Unis, puis ensuite au Canada. Il est trilingue, parle parfaitement l'anglais et l'allemand, et il fera plus de 100 fois le voyage Europe /Amérique du Nord !
En France, il participe aux plus hautes instances de l'Urbanisme. A la suite à la loi Cornudet (en 1919, après la Première Guerre mondiale, instituant la nécessité d'un plan global d'urbanisme pour les villes de plus de 10 000 habitants), il est nommé architecte urbaniste de Marseille et Lille-Roubaix-Tourcoing. Il réalise aussi des cités-jardins en France et de magnifiques jardins sur la côte d'Azur ou aux Etats-Unis. Il est l'auteur d'une extension importante de Philadelphie. Il est également (photo ci-contre) l'architecte en chef de l'exposition internationale des Arts et des Techniques de 1937, à Paris.
Très rapidement des projets de reconstruction du quartier dévasté de Rouen vont être réalisés, dès la fin de l'année 1940, par le Service Architecture de la Ville avec les conseils de Jacques Gréber (qui n'est d'abord que conseiller avant d'être chargé de missions plus importante pour les reconstructions en Normandie et dans le Nord de la France).

Ces premiers projets prévoient une grande esplanade pour dégager la vue sur la cathédrale. La comparaison des deux photos ci-contre, montre une grande ressemblance entre les projets dessinés par Gréber, en 1937, pour le nouveau Palais de Chaillot et le premier projet pour Rouen dès fin 1940. En effet si les architectes du nouveau palais, remplaçant celui du Trocadéro, sont bien Azéma, Boileau et Carlu, c'est Gréber qui est l'auteur du jardin, des escaliers et des cascades.
Jacques Gréber, avant 1944, sera amené à revoir ses projets à plusieurs reprises. Je vous invite à consulter pour cela les dossiers Gréber conservés aux Archives municipales de Rouen qui viennent d'être reclassés et qui sont en cours de numérisation.
Finalement, sous différentes pressions et notamment celle des commerçants et des habitants des quartiers détruits, les projets d'esplanade au sud de la Cathédrale seront abandonnés au profit de nouveaux immeubles assez bas pour laisser la vue sur la cathédrale.

 

 

Premier projet de grande esplanade au sud de la cathédrale, fin 1940 (Photo Archives municipales de Rouen, dossiers Reconstruction / Gréber)

Voici la plus importante maquette pour la reconstruction de Rouen conçue sous Jacques Gréber. Elle a été réalisée, en 1943, par la société Perfecta de Paris. Elle a été exposée au musée des Beaux-Arts de Rouen en octobre 1943 puis à Paris lors du salon de l'Urbanisme en avril 1944.
Cette maquette et le plan général qui va avec ne seront pas réalisés, du fait des destructions des bombardements et incendies de 1944 et de la surélévation des quais qui sera décidée en liaison avec le projet-Paris Port de mer.

Maquette du projet de Jacques Greber pour la reconstruction de Rouen, lors de l'inauguration, au Palais de Tokyo à Paris, du Salon de l'Urbanisme, le 27 avril 1944, en présence de M. Abel Bonnard. (Photo DNP, journal Le Matin, coll. G. Pessiot)  
Bombardements du 19 avril 1944, autour des rues des Carmes et aux Juifs.
 

Bombardements du 19 avril 1944, autour des rues des Carmes et aux Juifs (Photo coll. Jacques Tanguy)


A partir du moment, où le tirant d'air sous les ponts est enfin fixé à 7 m, il a fallu, avant de commencer à reconstruire sur la rive droite, surélever les quais afin que la pente pour arriver aux nouveaux ponts ne soit pas trop raide.

La surélévation des quais en bas de la rue Jeanne d'Arc, en 1949 (ADSM, fonds Robert Eude, 11 Fi)

 

Ce n'est qu'après cette surélévation des quais que débute véritablement la reconstruction de Rouen, rive droite, avec des nouveaux immeubles qui sortent de terre, en 1950 (six ans après la libération de Rouen).

 

Les débuts de la reconstruction, à Rouen, rive droite, fin 1950. (Photo archives Paris-Normandie)

Il a donc fallu être patient. Mais un qui ne l'a pas été, c'est Jacques Gréber !
Les raisons de son départ de Rouen sont multiples. Elles ne sont pas dues entièrement aux lenteurs de la reconstruction, aux relations devenues difficiles avec certains Rouennais (les commerçants, la chambre de commerce...). Il faut ajouter à cela ses engagements antérieurs et ses liens solides de notre architecte avec le Canada.
Gréber connaît très bien, en effet, l'infatigable premier ministre du Canada, Mackenzie King et il travaille pour lui, pour l'agrandissement de la capitale canadienne Ottawa, depuis 1936. Ses travaux ont été sinon stoppés, en tout cas très ralentis durant le second conflit mondial et la paix revenu, le 22 août 1945, Gréber reçoit le télégramme suivant (que j'ai pu consulter en me rendant à Ottawa) signé d'Alphonse Fournier, ministre des travaux-publics canadiens dont voici un extrait : « Nous désirons que le plan de base tracé par vous et partiellement exécuté soit étendu jusqu'aux limites récemment déterminées et considérablement élargies. Stop. Le Premier ministre m'a prié de vous demander si vous pouviez entreprendre ce travail. Stop. Prière de m'aviser si vous pouvez venir immédiatement. Stop ».
Suite à cette pressente invitation Jacques Gréber demande au Gouvernement français l'autorisation de confier à ses adjoints les fonctions d'inspecteur général de la Reconstruction et de l'Urbanisme en Normandie et il arrive au Canada dès le 2 octobre 1945. Il ne traîne pas, son programme général pour Ottawa sera soumis au premier ministre un mois et demi plus tard le 16 novembre 1945, avec construction d'une nouvelle maquette (photo ci-contre)

Construction de la maquette pour l'agrandissement de la capitale canadienne Ottawa, en 1945 (Photo Centre Canadien d'Architecture, Ottawa)

 

Gréber ne reviendra plus à Rouen que pour quelques réunions exceptionnelles. La reconstruction sera poursuivie par une nouvelle équipe d'architectes sous la direction de Henri Barhmann pour la Normandie et de François Herr, notamment, pour Rouen.
Pour en savoir plus sur cette période, et pour ne citer que les sources principales, je vous renvoie aux travaux, publications et conférences de Patrice Pusateri, au mémoire d'Hugo Becasse, architecte, sur la Reconstruction, à la thèse de doctorat de François Lortie sur Jacques Gréber et à la volumineuse et très complète thèse de Jean-Marie Cipolat-Gotet, en 2004 à Paris I Panthéon Sorbonne. Ce dernier auteur n'est pas toujours tendre pour Jacques Gréber. Il le juge très préoccupé d'esthétisme, mais beaucoup moins du sort des familles les plus pauvres. En miroir à ces jugements, il apparait plus indulgent, voire plus positif que certains, sur le travail de ses successeurs, Barhmann et Herr.

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