GIOVANNI DA VERRAZZANO

Que savons-nous de Jean de Verrazzane, Giovanni da Verrazzano en italien ?
Dans le passé, certains ont été jusqu’à suspecter même son existence. L’historien américain Murphy pensait qu’il ne faisait qu’un avec un fameux corsaire, Jean Fleury. Cette idée est abandonnée depuis bien longtemps. Notre Verrazzane a bel et bien existé et il a bien fait deux voyages en direction du nouveau continent.
Nous avons un certain nombre de documents le concernant :
- Deux copies d’une lettre à François Ier relatant son voyage en Amérique (une, venant de la bibliothèque des Jove à Côme, l’autre de la Bibliothèque Vaticane).
- Un poème de Jules Jove (1504-1563) cite Verrazzane parmi les homes célèbre et contient en particulier une relation de sa mort.
- Quelques documents plus administratifs, en particulier une procuration du 11 mai 1526, en faveur de son frère Jérôme et de Zanobis Rousselay (Ruccelaï en italien), signée de lui et conservée aux Archives départementales de la Seine-Maritime et un contrat de vente entre lui et le bourgeois rouennais Adam Godeffroy (12 mai 1526).

Nous savons qu’il était né vers 1485, de Pietro Andrea da Verrazzano et de Fiammetta capelli son épouse. Il avait au moins quatre frères dont l’aîné s’appelait Bernardo et était banquier. Ensuite venaient Nicolo, Piero, notre Giovanni et enfin Girolamo (Jérôme) qui l’accompagna dans ses voyages. Son lieu de naissance est controversé. Sa famille avait des terres à Val di Greve, mais aussi une maison à Florence dans une rue qui porte maintenant son nom. Sa jeunesse reste un peu mystérieuse. Il est toutefois vraisemblable qu’il bénéficia d’une solide formation comme l’atteste la qualité de la rédaction de sa lettre à François Ier.
Comme beaucoup de jeunes italiens de l’époque il du longtemps naviguer dans le bassin de la Méditerranée. Ses écrits sont ponctués de nombreuses références à des paysages ou des mœurs de cette région qui indiquent qu’il les connaissait parfaitement. Il avait donc un solide passé de navigateur quand il arriva en France.

Quel était le contexte de cette époque ?
Deux grands royaumes s’affrontaient une lutte terrible pour la domination : La France et l’empire de Charles Quint. Il n’est pas dans mon propos d’entrer dans les péripéties de cette lutte. Pour ce qui nous intéresse, les Espagnols avaient pris une longueur d’avance sur les Français en s’établissant sur le nouveau continent que le Génois Christophe Colomb avait découvert en 1494 pour leur compte. En 1522, Magellan, à bord de sa caravelle la Victoria venait de boucler le premier tour du monde en passant par le détroit au sud du continent américain qui depuis porte son nom. La route des Indes de la Chine et du Japon était ouverte pour eux, suscitant une énorme jalousie.
Il fallait réagir et trouver une autre route. Les continentaux du Nord-ouest que nous sommes lorgnèrent vers un passage au nord qui puisse être une alternative au passage au sud des castillans. Des traditions couraient alors sur l’existence de ce passage et dans les ports de la Bretagne et de la Normandie, on racontait que des aventuriers l’avaient déjà côtoyé.

Rouen
Rouen à cette époque était une ville de toute première importance. Deuxième ville du royaume (elle le restera jusqu’au XVIIIe siècle), elle était le cœur d’une des plus riches régions du royaume. Les côtes étaient bordées de nombreux ports d’où de hardis navigateurs partaient fort loin pour la pêche. Le Havre venait d’être créé par François Ier (en 1515). Dieppe Harfleur et Honfleur armaient pour la pêche depuis bien longtemps comme le montrent les actes du moyen âge. Des côtes normandes partaient aussi des corsaires qui menaient la vie dure aux navigateurs de Charles Quint ou de Joao III, roi du Portugal. Depuis au moins le XVe siècle, il y avait à Rouen une importante communauté d’origine étrangère : des espagnols, des portugais et même des italiens (nous avons comme cela des informations concernant Jeanne d’Arc provenant de marchands de Venise). Les archives nous montrent à l’époque qui nous intéresse, pas moins de quatre rejetons de la grande famille des Ruccellaï (Pietro, Zanobis, Mario et Alessandro). Ils avaient francisé leur nom en Rousselay, ce qui montre une intégration déjà poussée. Avec eux, on note des Toscanelli (3 petits-neveux du célèbre astronome), un Brunelleschi (en famille avec l’architecte de florence) et quelques autres qui avaient certainement gardé des relations avec leurs congénères dispersés partout où il y avait des affaires à traiter.

La première expédition
Il semble bien que ce furent les marchands italiens de Lyon qui servirent d’intermédiaires pour la venue de Verrazzane auprès de François Ier. Cette ville admirablement située sur les chemins du grand commerce entre le bassin de la Méditerranée et les plaines du nord ouest, avait attiré un nombre appréciable de commerçants et surtout de banquiers qui avaient établi leur base à mi-chemin entre l’Italie, la Flandre, l’Allemagne. Ces riches italiens jouaient un rôle important dans les flux financiers, en particulier en prêtant aux finances royales lorsque le besoin s’en faisait sentir.
Les conditions étaient réunies pour faire de notre région le point de départ d’une expédition : l’argent des italiens de Lyon en contact avec leurs compatriotes à Rouen, les navires et les équipages aguerris de la côte normande et la volonté royale de damner le pion à l’ennemi exécré. Cela urgeait même car la concurrence était rude et nos villes et nos ports étaient sous la surveillance attentive d’espions, en particulier portugais.
Quatre navires furent donc mis en chantier et, en quelques mois, la petite armada était prête à prendre la mer. Vers le milieu de 1523 (quelques mois à peine après le retour de Magellan), les navires prirent la mer en direction du nord ouest, sur la route que prenaient pêcheurs bretons et normands en direction du grand banc depuis le haut moyen âge (Ont-ils alors découvert l’Amérique bien avant Christophe Colomb, c’est une autre histoire).
Hélas, la tempête provoqua la perte de deux unités et obligea à un retour forcé vers un port breton. Il ne restait que la Normande et la Dauphine. Réparés, les équipages complétés (il y avait eu quelques défections), les bateaux repartirent, vers le sud cette fois, itinéraire plus dangereux politiquement car dans la sphère d’influence hispano-portugaise. Après une escale près de Madère où la Normande, avariée prit le chemin du retour, la Dauphine mit le cap plein ouest le 17 janvier 1524. Le 7 mars, elle atteignait le continent américain dans une zone non encore explorée correspondant à la Caroline du Nord actuelle.
L’expédition descendit d’abord vers le sud, mais, prudent, Verrazzano décida de faire demi-tour et de se diriger vers le nord pour éviter d’éventuelles mauvaises rencontres avec les Espagnols qui s’étaient installée dans la Floride actuelle.
Longeant les cotes des actuels états de Caroline du Nord, de la Virginie, de Delaware et du New-jersey, il crut parfois trouver le fameux passage du nord ouest objet de son expédition : Longeant par exemple un isthme il crut que l’étang qui se trouvait derrière était la mer baignant la Chine et le Japon.
Il découvrit l’estuaire du fleuve Hudson et fut séduit par la richesse de cette région qui est maintenant la ville de New York. Il mérite donc que l’on ait donné son nom à l’un des gigantesques ponts qui traversent le fleuve dans cette ville.
Il relâcha dans la baie de Newport (qui ne portait pas encore ce nom, aussi l’avait-il appelé le refuge). Il y résida une quinzaine de jours, fraternisant avec la population autochtone.
Il poursuivit son chemin jusqu’au Canada. Aux abords de l’île de Terre-neuve, ayant épuise ses provisions, désespérant de trouver le passage du nord ouest, il mit le cap vers l’est, suivant la route des pêcheurs bretons et normands.
Le 8 juillet 1524, il était de retours à Dieppe d’où il écrivit sa lettre à François Ier, relatant son voyage.
La deuxième expédition
Dès ce moment, il ne vécut que pour repartir. Pour cela, il lui fallait populariser ses découvertes : c’était le but de sa lettre au roi, mais aussi à ses commanditaires lyonnais et italiens, ce qui explique que c’est en Italie que l’on ait retrouvé les exemplaires connus. Il partit pour Lyon, emportant avec lui des échantillons de produits qu’il avait collectés outre Atlantique. Il devait y rencontrer non seulement ses commanditaires du premier voyage, mais aussi vraisemblablement le roi lui-même. Il fut certainement déçu de ces contacts. Le roi avait quelques soucis avec la Provence que Charles Quint avait envahit avant de se faire prendre prisonnier à Pavie (1525), les banquiers italo-lyonnais vraisemblablement déçu des résultats économiques de la première expédition durent être peu chauds pour financer la deuxième. Ils n’étaient pas dans le « tour de table » de celle-ci. Il revint en Normandie.
C’est à Rouen qu’il constitua une nouvelle compagnie en vue de ce deuxième voyage. En avril 1526, en compagnie de cinq normands, il réunit les 20.000 livres nécessaires. Avec lui des personnages aussi importants que l’amiral Chabot, Guillaume Prudhomme, Trésorier Général de Normandie (dont la maison là où est maintenant la préfecture figure sur une des planches du Livre des Fontaines), Pierre d’Espinolles, Jacques Boursier et Jehan Ango.
Pendant deux ans, les préparatifs furent poussés et c’est le 17 mars 1528 qu’elle mit les voiles pour l’Ouest.
On ne sait pas très bien quel fut le trajet de cette deuxième expédition de Jean de Verrazzane. Ce que l’on sait, grâce au poème de Jules Jove mentionné plus haut, c’est qu’il longea les côtes de la Floride puis, virant de bord, s’engagea dans les Antilles. Il y cherchait toujours un hypothétique passage vers le grand océan de l’ouest, recherche vaine, nous le savons maintenant, jusqu’à ce que l’on creuse le canal de Panama.
C’est là, quelque part vers la Guadeloupe ou la Martinique, qu’il fut surpris par une tribu de caraïbes anthropophages, tué et mangé. Son frère Girolamo, cartographe de l’expédition, qui était resté à bord avec une partie de l’équipage lui survécut assez longtemps. Il dessina une carte des découvertes de son frère où les terres nouvelles portent le nom de Verrazzana (Verrazzanie) ou Nova-Gallia (Nouvelle France).

Quel est le bilan de ces aventures ?
Les documents nous montrent en Verrazzane un esprit brillant. Ses qualités littéraires sont incontestables. Il montre une culture remarquable pour son époque. Il montre surtout un esprit positif est critique. Il n’hésite pas à contredire Aristote à une époque où cela pouvait valoir le bûcher. Il fait montre d’un véritable esprit scientifique. Mathématicien, il a calculé les distances parcourues et les lieux découverts. Géographe, il a découvert que l’Amérique formait un grand continent isolé formant écran entre l’Europe et l’Asie. Ethnologue, il a décrit les populations rencontrées. Économiste, il a étudié les richesses locales.
C’est un véritable humaniste, fier reflet de son époque que l’Italie nous a donné.

Et Rouen dans tout cela ?
Eh bien !, faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Sans les Rouennais, l’expédition, et en particulier la seconde, n’aurait certainement pas pu avoir lieu. Rouen apparaît bien la plaque tournante de l’organisation. Métropole de la Normandie, c’est son Parlement qui disait le droit, comme s’est son archiépiscopat qui, plus tard dirigea spirituellement les possessions outre atlantique. C’est à Rouen que se conclurent les contrats de son second voyage. C’est à Rouen qu’il organisa ses affaires.
Nous pouvons donc revendiquer une part de cet aventurier et un pont à son nom, porte vers l’océan, serait une façon de lui rendre hommage en même temps qu’une affirmation de notre volonté d’aller de l’avant, de nous rattacher à la lignée des Conquérants qui firent l’histoire en cette aube des temps modernes.

Jacques Tanguy

30/9/2003

Ce texte est celui d'une conférence faite devant les membres de l'association "Rouen-conquérants" en septembre 2003.
les documents reproduits viennent de l'ouvrage de Michel Mollat du Jourdin et Jacques Habert : "Giovanni et Girolamo Verrazano, navigateurs de François Ier", paris, 1982.

   

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