C'est en 1913 que commence l'histoire du
carillon rouennais, et par celle d'une cloche unique dédiée
au souvenir de Jeanne d'Arc dont le culte commençait à
poindre. Cette "Jeanne d'Arc" devait prendre place dans la
Tour de Beurre, à la place de la "Georges d'Amboise"
disparue pendant la Révolution.
Le promoteur de l'opération, l'archevêque Frédéric Fuzet
(1899-1915) en parla au pape Pie X, qui accepta d'être le
parrain.
Mais, il ne put mener sa tâche jusqu'au bout. Il recula
devant la charge financière que cela représentait et devant
des interrogations techniques : la tour serait-elle assez
solide pour supporter cette cloche de 20 tonnes ?
On décida donc d'installer la nouvelle cloche dans la Tour
Saint-Romain où se trouvaient déjà quatre cloches.
Pour que la tour de Beurre ne restât pas muette,
il fut décidé d'y construire un carillon complet de
29 cloches, avec clavier manuel pour les concerts et
mécanisme automatique pour les heures.
On confia la fabrication de l'ensemble (comme pour
le bourdon "Jeanne d'Arc") à la société savoyarde
Paccard.
Mais survint la première guerre mondiale. Les
cloches restèrent à Annecy jusqu'en 1920.
Le 29 avril de cette année 1920, l'ensemble cloche(1)
et carillon furent reçus à Rouen. Ce ne fut pas
l'archevêque Frédéric Fuzet, mais son successeur,
Louis Dubois qui présida la cérémonie.
Il appartint à un carillonneur hollandais de
Bois-le-Duc, M. Van Balkom, de jouer en premier au
clavier de l'instrument.
Un projet d'agrandissement de l'instrument avait été
prévu en 1937 et devait être inauguré en 1939 pour
les 20 ans de l'instrument. Mais vint la guerre et
le projet fut abandonné.
C'est en 1954 que le nombre de cloches fut porté à
50 (auxquelles il faut ajouter les 6 cloches à la volée)(2).
Le clavier d'origine était "à
touches de piano" ce qui rendait
difficile l'exécution et manquait de
finesse(3).
Il avait toutefois l'avantage d'être
accessible à tout organiste, sans
formation préalable.
Il fut remplacé en 1933 par un
clavier "standard"(4)
inauguré par le Directeur de l'école
de carillon de Malines, Jeff Denyn.
Derrière le banc, Maurice Lenfant a
gravé un cartouche contenant son
nom.
Clavier actuel
Le carillon pouvait jouer
automatiquement grâce à un ingénieux système
composé d'un tambour muni d'un système
d'horlogerie.
Le tambour avait été fourni par la maison
Eisjbouts, d'Asten (Pays-Bas) L'horloge
avait été installée en 1922 par M. Danner,
horloger de la Ville de Rouen.
Le cylindre est large 1,20 mètre et pèse
plus d'une tonne. Il est percé de 14.400
trous dans lesquels on peut mettre des
fiches de métal.
Le système est donc identique à celui des
petites boîtes à musique.
Les taquets agissaient sur des bascules qui,
par l'intermédiaire de fils en acier,
actionnaient des marteaux qui frappaient les
cloches. Ces fils sont au nombre de 60 pour
les 29 cloches d'origine. Certaines cloches
sont dotées de plusieurs marteaux (jusqu'à
trois) pour permettre la répétition
rapprochée de certaines notes.
Muet pendant la seconde guerre mondiale, il
n'a pu retrouver sa fonction à la Libération
du fait de l'absence de courant électrique.
Depuis, les injures du temps l'ont mis dans
un triste état. Il vient d'être restauré et
sera transféré dans la tour Saint-Romain.
Le carillon a fonctionné jusqu'aux années 70
du siècle dernier. Il égrenait les heures et
les demi-heures et gratifiait les Rouennais
de concerts réguliers.
Il avait connu ses heures de gloire de 1935
à 1937 lorsque Maurice Lenfant participa
depuis son clavier rouennais à chaque
représentation du "Vray mistère de la
Passion" joué une trentaine de fois sur
le parvis de Notre-dame de Paris. Une ligne
téléphonique spéciale mise en place par les
P.T.T. reliait les deux cathédrales et un
haut parleur géant caché derrière la façade
de la cathédrale parisienne apportait le son
de notre cathédrale aux spectateurs.
2016 : Un nouveau carillon
En 2016, un nouveau carillon est en cours
d'installation dans la tour Saint-Romain. Le premier
concert est prévu pour les journées du Patrimoine de
cette année.
Notes :
1 - La "Jeanne d'Arc", détruite lors de
l'incendie de la Tour Saint-Romain, a été remplacée par une
nouvelle cloche plus petite (10 tonnes) en 1963. 2 - C'est grâce en particulier au Syndicat
d'Initiative, au Département, à la ville et à l'Épiscopat
que ce complément a pu se faire. 3 - Il comportait 29 touches et une jeu de
pédales de 9 notes. 4 - Il comporte 37 manettes et un jeu de
pédales de 17 notes.
Bibliographie
Cloches et
carillons, Bulletin religieux, 14/4/1920, p. 349.
Jouen (Léon),
La "jeanne d'Arc" et le carillon de la Victoire, Bulletin
religieux, 17/4/1920, p. 349. et 1/5/1920, p. 418-419.
Le carillon
de la Cathédrale, Bulletin religieux, 30/9/1933, p. 792-793.
Le carillon
de la Cathédrale - Inauguration des des travaux, Bulletin religieux,
7/10/1933, p. 815-816.
Le carillon
de la Cathédrale de Rouen, Normandie publicité, 1930.Anonyme,
Le carillon de Rouen, 1947.
Rouen,
premier centre français du carillon, Bulletin religieux, 16/5/1936, p.
467-468.
Lenfant (Maurice),Le carillon de Rouen Rouen, Imp Journal de Rouen., 1937.
Maurice
Lenfant est nommé expert carillonneur auprès de la Cour d'Appel,
Bulletin religieux, 18/9/1937, p. 802.
Lenfant (Maurice),Le carillon de la Cathédrale de Rouen, Normandie publicité, 1930.
Le carillon
de la Cathédrale transmis par TSF, Bulletin religieux, 5/5/1934.
Le carillon
de la Cathédrale aux fêtes de Paris, Bulletin religieux, 8/6/1935.
Le carillon
de la Cathédrale à l'exposition de Bruxelles, Bulletin religieux,
20/7/1935.
Anonyme,
Le carillon de Rouen, 1947.
Parment
(Roger, La ville aux cent clochers carillonnant dans l'air, Revue
de Rouen, 5/9/1947, p. 25-26.
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Fleury
(Daniel), La Jeanne d'Arc à la Cathédrale, Présence Normande, 22e
année, n°5, 1929, 11-15.
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(Bernard), La Maîtrise Saint-Evode de la Cathédrale de Rouen,
1993.
Tanguy
(Jacques), Rouen insolite et secret, Tome I, 2009.
Le renouveau
du carillon de la Cathédrale, Tendance Ouest, n° 128 2015, p.8.
Le carillon
va être restauré, Côté Rouen, n° 188 2015, p.25.
Massin
(Fabien), Le carillon sonnera à nouveau, Côté Rouen, n° 189 2015,
p.10.
Les cloches
ont entamé leur voyage, Côté Rouen, n° 195 2015, p.16.
Un carillon à
la pointe pour 2016, Tendance Ouest, n° 205 2015, p.4.
Les cloches
du carillon de retour, Côté Rouen, n° 230, 2016, p.12.
Les cloches
de retour à la maison, Tendance Ouest, n° 245, 2016, p.6.
Maurice Lenfant
(1902-1979)
Elève de la Maîtrise
Saint-Evode à la cathédrale de Rouen (de
1910 à 1914) Maurice Lenfant a suivi une
formation musicale poussée qui fit de
lui un organiste réputé. Il apprit la
musique campanaire à l'Ecole de Carillon
de Malines. Il était titulaire de
l'orgue de l'église Saint-André à 13
ans.
Dès son inauguration, il devint
titulaire du carillon de la Cathédrale
de Rouen, ce qui ne l'empêcha pas
d'exercer ses talents ailleurs :
Titulaire du grand orgue de
Saint-Clément (1925), Professeur de
musique, fondateur de l'Ecole de Musique
Charles-Gounod de Rouen (1926)
Son répertoire était pour le moins
diversifié. IL mêlait les airs
populaires (J'irai revoir ma
Normandie, Les Cloches de
Corneville) et thèmes savants
(l'ouverture de Carmen,
l'Adagio d'Albinoni, L'Arlésienne
de Bizet, l'air de la Dame Blanche
de Boieldieu).
On avait donné son nom au passage qui,
au travers de l'ancien Palais des
Congrès, reliait la rue Saint-Romain à
la rue des Carmes.